jeudi 2 mai 2013

Ecole d'Epineuil : cours philo 10


Cours du 26 Mars 2011

Depuis que nous travaillons sur le Ménon, nous parlions de l'anamnèse. Prise dans un sens plus large que chez Platon au sens d'un ressouvenir, ou de la réminiscence, c'est l'anamnèse dont parle Proust dans « la recherche du temps perdu ». (page 44-45 Pléiade) ce qui signifie l'anamnèse. Dans un sens banal, on se ressouvient de ce qui s'est enfoui dans l'oubli. Cette dimension de l'anamnèse embrasse toute les dimensions de la mémoire. Cela a conduit Socrate à parler de l'immortalité de l'âme.

Pour faire de la philosophie, il faut pratiquer l'anamnèse : pourquoi faire de la philosophie. Nous devons faire l'anamnèse de la raison pour laquelle nous nous demandons ce qu'est l'anamnèse ? Pourquoi ce cours ? Avec J. P. Vernan, nous avons réfléchi au mnémon, celui qui conserve la mémoire. Nous oublions le motif de nos actes. L'anamnèse est ce qui revient après ce qui fait défaut. Chez les grecs, le mental se représente à travers les dieux.

Il y a des phénomènes de censure : organisés politiquement, le refoulement freudien, mais il y a aussi des processus toxiques des mnémotechniques. Le pharmakon est alors mal tourné et provoque des trous dans la mémoire et dans la mémoire collective.

Quand l'appareil psychique est court-circuité par le marketing et ses complices imbéciles (dont des intellectuels compromis), on finit par se demander à quoi bon la vie ? C'est une « perte du sentiment d'exister » (D. W. Winnicott) pour les gens qui souffrent de la destruction de l'anamnèse, de la perte du sens de la vie. Quand on en est là, il faut trouver un pharmakos, c'est-à-dire un bouc-émissaire qui peut s'appeler : l'arabe, le juif, l'émigré, le communiste, le jeune (comme aujourd'hui). Nous sommes sur une zone de fracture. Nous n'avons plus le droit de ne pas être très intelligent, autrement dit pour B. Stiegler d'avoir une forte capacité sociale (écouter les autres).

Il faut alors faire un retour au point de départ par l'anamnèse : comment en est-on arrivés là ? Comment Marine Lepen peut faire 24% ? Mais à l'origine il n'y a qu'un défaut d'origine (M. Blanchot et Nietzsche). On remonte donc au défaut d'origine comme origine qui serait la technique. Dans le dialogue Phèdre : le principe, arche (archaïque) , c'est l'origine : pour penser il faut des principes, qui conduisent à la fin, aux buts.

Cela conduira à ce que E. Kant appellera le « transcendantal » et du « jugement synthétique a priori » : on l'a d'avance puisqu'il nous permet de faire l'expérience. On arrive à l'existence avec cela, c'est une « condition de possibilité de l'expérience ». Et, c'est cela l'enjeu de Ménon : la vertu, c'est ce que tu ne peux pas trouver dans l'expérience, mais elle te permet de trouver tous les cas de l'expérience. Platon, à travers Socrate, affirme cela à cause de l'aporie de Ménon. Il l'a connait déjà et l'a oublié.

La philosophie est alors très proche de la psychanalyse car il faut analyser l'esprit pour déterrer la mémoire. Freud permet la relecture de la philosophie, car le sujet de la psychanalyse serait l'anamnèse, au travers de l'inconscient. Ce dernier est en dehors du temps, tout comme l'âme immortelle de Platon.

Chez Platon, l'anamnèse procède de l'amour. C'est quasiment la base de la psychanalyse, mais Platon va opposer l'âme et le corps. L'inconscient serait le refoulé dans le corps comme milieu pulsionnel.

Tout cela nous conduit à Perséphone : encore une histoire de fesses ! Hadès en pince pour elle. Sa mère, Démeter, est en colère. Sans voir cela, on ne comprend les mystères d'éleusis. Qui est Perséphone ? C'est une tiers-mortelle : elle passe l’hiver en Hadès. Freud : « unheimlichkeit », l'inquiétante étrangeté, concept fondé sur « L'Homme au sable » d'Hoffmann. C'est étrange de la part de Socrate de convoquer les mystères d'éleusis et la poésie pour fonder le savoir alors que les philosophes cherchent à fonder un savoir qui n'est pas une croyance. Dans le Ménon, Platon est encore très proche de Socrate.

En terme de savoir, il ne faudrait pas faire appel à l'immortalité pour fonder le savoir, car cela oblige à opposer l'âme et le corps. B. Stiegler affirme que Socrate ne soutient pas cela, quand il le dit, il raconte une histoire. À la fin du mois de Février, c'était encore l'hiver, mais nous sentions l'arrivée du printemps. Il faut aller dans le « conglomérat hérité » pour comprendre de quoi il est question quand Platon parle « d'un autre temps ». L'esclave de Ménon cherche en lui la réponse. Socrate dit qu'il a trouvé la réponse en lui : il faut bien qu'il ait eu ces opinions justes dans « un autre temps », ce que l'on va chercher « dans un conglomérat hérité ». Le poète vit une réminiscence issu de ce conglomérat, c'est sur cette base que Socrate affirme qu'il n'y a pas de différence entre connaître et se ressouvenir. Mais la mémoire s'acquiert, notamment par des techniques du corps. Cette culture hérité est celle des poètes aveugles (Ray charles par exemple). Une société est une société qui apprend l'anamnèse.

Quelle est la capacité anamnèsique des poètes grecs ? C'est de « voir l'invisible » dira J. P. Vernan. Le débile, l'incapacité devenait le plus important : Homère. Cela supposait un art, technè, une mnémotechnique. Cela donne accès à un « supra-visible » selon B. Stiegler, ce qui mène à E. Kant : il parle du « supra-sensible » à propos du sublime dans « La critique du jugement » (de goût : la troisième critique de l'esthétique) : il y a le jugement de beau et le « jugement du sublime qui juge du sublime en tant qu'il est ce en comparaison de quoi tout le reste est petit ». B. Stiegler : le sublime donne accès au supra-sensible.

C'est ce que dit Kant. Pour Kant, c'est une capacité de l'humain issue de la capacité à envisager l'infini et à l'imaginer. La faculté de conception est l'entendement, mais la raison accède à autre chose qui est l'imagination. Pour Kant il y a un lien entre l'entendement et la raison qui passe par l'imagination et, ce qui permet la projection de ce lien, c'est notamment le sublime. Cela figure des idées de la raison infinies que l'on ne peut concevoir à proprement parler car elles sont infinies : la justice, le beau, etc. Mais nous ne pouvons vivre sans ces idées. Il est aussi question de « joie » que fournit ces expériences supra-sensible, mais qui créent aussi de la peine.

Paul et Arthur Rimbaud sont des poètes maudits, homosexuels, qui se droguent. Le 15 Mai 1871, Arthur Rimbaud écrit une lettre à Paul Demeny : il dit « je est un autre » (phrase commenté par G. Deleuze), 3 ans avant avant Nietzsche, 25 ans avant Freud. Il dit aussi : « J'assiste à l'éclosion de ma pensée, je la regarde, je l'écoute. Je lance un coup d'archet, la symphonie remuement dans les profondeurs, ou vient d'un bond sur la scène ». Cela, c'est le conglomérat hérité d'où proviennent les anamnèses. Il dira : « le poète est voleur de feu », c'est Prométhée. Et aussi : « Énormité devenant norme absorbée par tous, il serait vraiment un multiplicateur de progrès ! », puis qu'il faut être « absolulement moderne ». « Pour être poète, il faut se faire voyant ». Nous retrouvons J. P. Vernan. « Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens », d'où l’absinthe. Cela conduit à des « visions », à un rapport au corps, notamment avec A. Arthaud. Cela va conduire aux avant-gardes. L'art va rentrer en conflit avec la société au 20ème siècle.

B. Stiegler pose que la mémoire n'est pas seulement « ma mémoire », mais celle de tous les rêves des non-inhumains. Cela repose sur l'épi-philogénéthique : fabriquée par des individus noétiques mais transmise de générations en générations. Notre avenir passe par le développement et l'évolution épi-philogénéthique. Ce sont des expériences inter-générationnelles. Il y a des conflits : selon Dotz entre ceux du conglomérat hérité et ceux de l'aufklarung grecque.

Comment les générations sont frappées technologiquement ? D'où le poème de Rimbaud « Les poètes de sept ans » : il pose le problème de la jeune génération comme personne avant lui. Ceux de la génération qui précédent les natifs du numérique et qui succèdent à ceux de l'imprimerie. En 1871, pas de phonographe. Ceux-là sont les natifs de « salut les copains », émission d'Europe 1 (transistor : commercialisé dans les années 50). Comment le nouveau pharmakon numérique peut aider à l'enseignement ?

Les conditions de transmission du savoir évoluent avec le temps, ce sont des rétentions tertiaires.
La rétention primaire : c'est ce qui a été découvert par Husserl. En 1905, il a constitué ce concept : quand j'écoute une note dans une mélodie, la note que j'entends ne sonne comme elle sonne musicalement que parce qu'elle retient en elle-même toutes les notes qui la précédent. Comme chacun ne retient pas la même chose, les rétentions primaires sont des sélections à partir des rétentions secondaires.
Les rétentions secondaires : ce sont des souvenirs venant du passé.
Cette sélection primaire trame des circuits en nous : des « frayages de la mémoire » (Freud : « L'esquisse d'une technologie scientifique »).
La rétention tertiaire prend une forme technologique : support numérique, shuringan pour raconter les mythes, livres, etc. Selon André Leroi-Gourhan, il n'y aurait pas de transmission mythographique sans de tels supports.

L'anamnèse résulte d'un rapport entre individus, par individuation, ce que Gilbert Simondon appelle « un potentiel sursaturé » qui forme un « milieu pré-individuel », que nous avons à individuer. Il est constitué des rétentions tertiaires. En nous co-individuant, nous redonnons du sens à ce qui nous a précédé.

Martin Heidegger, dans « Sein und Zeit » (être et temps, 1927) : il a énormément choqué Célan par son passé nazi, même si cela n'a duré qu'un an. Il l'a payé en étant envoyé au travail.

En 1927, il a écrit 5 paragraphes (76 à 81) : ce qui fait qu'il y a dans les objets de l'histoire, comme des constituants fondamentaux du dasein, fragment des êtres capables d'accéder l'être, car c'est peut-être dans le non vécu qu'il faut penser l'existence. Il répond par la négative.

Pour B. Stiegler, c'est erreur qui l'empêche de penser Prométhée. Ainsi en 1933, dans son discours de recteur, il fait de Prométhée le dieu du nazisme. Il n'aurait pas pris ce chemin s'il avait vu l'extériorité de la mémoire.

Plus tard, il abandonnera Prométhée et prendra Œdipe et Antigone. C'est « l'être inquiétant ».

Socrate vise le détachement dans la lusis, ainsi dans le Phédon : le rapport à la mort doit être un détachement afin de s'excepter de l'attitude naturelle et faire une conversion. C'est que fait Socrate en tant qu'être démonique. On le comprend par la lecture de J. P. Vernan. Nos âmes sont hantées par des morts qui nous font vivre. Mais il nous faut dépasser l'a priori sur le terme athanaton que l'on retrouve dans Le Ménon.

Comment passe-t-on du mythe à la géométrie ? De la mystagogie la plus ancienne au calcul du carré. C'est en lisant le banquet que l'on le comprendra. Le dieu Eros est celui qui relie les dieux aux mortels. Dans le Banquet : « celui qui aime est possédé d'un dieu, d'un démon, d'un esprit ». L'amoureux peut faire n'importe quoi car c'est un être d'exception. C'est un état démonique : la poésie, le savoir de Socrate, l’épi-phylogenèse... C'est un atê. Faire de la philosophie, c'est aimer. Le noétique passe par le démonique. Cela relève de ce que Freud appelle « l'idéalisation » : l'être que j'aime est un être qui dépasse la mortalité en ce sens qu'elle s'infinitive.

vendredi 29 mars 2013

Ecole d'Epineuil : cours de philo 9


26 Février 2011

Nous parlions de l'aporie de Ménon à laquelle Socrate répond en convoquant un élément de la mythologie, celui de Perséphone, tout cela, alors que Platon veut passer de la croyance au savoir apodictique. Cette problématique revient dans « Le Banquet » : Diotima y revient comme celle qui initie Socrate aux mystères de l'amour, la philosophie ayant un rapport inaliénable à l'amour. L'enjeu est ce que Freud appelle « les processus d'idéalisation ».

Aujourd'hui, nous allons nous pencher sur les poètes, « ce sont ceux qui voient l'invisible », dit Jean-Pierre Vernant. Dans cette culture de l'aidos (venant de hadès) Socrate déclare que : « les poètes sont ceux qui sont vraiment divins ». La culture de la honte est celle des mystagogues, celle que les poètes chantent.
- Il faut démêler dans les dialogues de Platon ce qui relève de la psyché athanatos (âme immortelle), de l'exigence socratique (un mortel ne peut jamais devenir immortel). Car Platon, au fil des années, évolue et transforme le discours de Socrate, dans une époque d'émancipation vis-à-vis de la société archaïque. Platon, en fait, appartient à l'âge métaphysique, dans laquelle nous vivons encore.

La référence au « conglomérat hérité » par Socrate n'est pas un simple artifice rhétorique. L'appel aux mystagogues est inévitables car le désir et l'amour sont convoqués, ce que Socrate appelle « penser dans le beau ». Ces questions conduisent Platon dans « le Banquet » à réfléchir à la sublimation de l'amour. Si nous nous aimons, nous nous aimons dans l'amour du beau et donc de ce à quoi il nous introduit, c'est-à-dire dans le vrai et le juste. En vieillissant, on aime de plus en plus l'idéalisation.

Néanmoins, il va opposer l'âme et le corps : l'âme siège de l'amour, le corps siège de la pulsion. Platon parle de « passion », le mot « pulsion » n'existe pas chez les grecs.
Paul de Tarse (St Paul), 4 siècles plus tard, fera la synthèse de Platon et de la Bible pour fonder le christianisme.
Le problème, c'est que l'amour pour Platon est aussi une passion. Il va distinguer : une bonne passion, celle de l'amour conduisant à l'idéalisation, c'est la passion de l'âme ; et une autre, mauvaise. Il s'imagine qu'on peut séparer les deux. Il sort ainsi du tragique qui ne distingue pas. Platon cherche à échapper à la situation pharmacologique de la Grèce archaïque.

B. Stiegler soutient que Socrate reste un tragique en faisant appel au tragique qui est son « milieu pré-individuel » (G. Simondon).
L'immortalité de l'âme est celle d'un savoir démonique, c'est-à-dire impersonnel. Maurice Blanchot décrit la parole oraculaire en interprétant un poème de René Char (1954).
La dimension tragique chez Socrate n'implique jamais une opposition de l'âme et du corps.

Dans l'apologie de Socrate, qui est en quelque sorte son testament, il fait son dernier discours public. Pour la défense de sa vie, il dit qu'il ne craint pas la mort parce que la seule chose qu'il sait, c'est qu'il ne sait rien (« ne compte pas sur moi pour penser à ta place »). Mais il y a une chose que qu'il sait peut-être : « c'est que je ne sais rien de la mort. »
il a ainsi un savoir de la mort comme tous les mortels, un non-savoir. « Craindre la mort, athéniens, ce n'est pas autre chose que de se croire sage alors qu'on ne sait pas ». L'homme ignore s'il s'agit d'un bien ou d'un mal.

Le dieu de la mort, hadès, donne son nom à la honte, aidos. Un dieu ne peut pas avoir honte, alors que le mortel a toujours honte. Aucun dieu, sauf Perséphone qui va être condamnée à éprouver la honte, car elle sera violée. Pourquoi aura-t-elle honte ?

Selon Socrate, celui qui affirmerait savoir ce qu'est la mort serait un menteur, donc Platon le serait : il décrit le monde immortel, « l'âme est immortelle ». De cette façon, il trahit l'enseignement de Socrate. Il fuit le caractère démonique de Socrate.

À la fin de son procès, il affirme qu'il va retrouver Homère, Hésiode, Musée, Orphée, ceux qui ne s'oublient pas. Il ne cite que des poètes. Ce sont ceux que Ménon appelle des héros qui accèdent au kléos et les fait accéder à l'hadès.

Lorsque Criton demande à Socrate de s'enfuir en Crête, Socrate refuse car il se compromettrait en hadès. Il sauvegarde la « revenance » de son esprit. Il hantera ainsi la mémoire de la cité tout comme les personnes que Perséphone rappelle au bout de 9 ans dans « Le Ménon ».

Perséphone a été offensée par Hadès. Elle va se venger sur les mortels. Il y a un autre cas au moins : celui de Prométhée qui trompe Zeus au profit des mortels.
D'un coté la mort et le désir, et de l'autre la technique et la mort : le mortel est un être technique, et qui est obsédé par la mémoire.
Perséphone passe un tiers de son temps dans l'obscurité et le reste du temps dans la lumière. Elle rappelle au jour certain des mortels, ceux qui ont eu des comportements exemplaires, non pas pour leur donner l'immortalité, mais pour les perpétuer afin de prendre soin de sa blessure.
Le héros est mort, mais il « survit » : il reste parmi les vivants comme un eidolon (fantôme), mot qui est aussi à l'origine du mot « idée ».
Socrate cite le mythe de Perséphone : « Ceux de qui Perséphone aura reçu le prix de l'antique souillure / de l'ancien mal /de l'antique deuil (...) ». Penteos, c'est la même racine que « dénuement ».
Diotima dira que l’Éros est celui qui est dans le penteos, une pauvreté qui est une richesse du désir.
Socrate poursuit : « Perséphone les fait à nouveau la neuvième année venue monter vers le Soleil d'en haut ». Cette résurgence est le printemps. Puis : « Ces âmes donnent naissance à de brillants souverains », c'est-à-dire ceux qui sont capables de rendre hommage à la blessure qui frappe Perséphone.

Pourquoi un viol est-il à l'origine de l'agriculture ? Le début de la Bible est aussi un mythe agricole : ôter la virginité de la Terre pour la faire fructifier. Les arbres de l'Eden ne donnent plus de fruits. En effet, Démeter oblige les mortels à travailler, il faudra vous souvenir de ma blessure et de votre mortalité. La « pomme de discorde » se retrouve dans la pomme d'Adam...

Démeter cache le grain de vie si bien que la famine menace la vie des hommes et aussi bien le culte des dieux, ainsi un compromis est passé avec Zeux et Hadès : une alternance de la vie et de la mort. Le mortel revient en haut comme le grain après le dur hiver.

La réminiscence, c'est la mémoire des héros. C'est ce que dit Socrate. Le retour des morts signifie la spiritualité de l'esprit au sens de revenants : une anamnésis. Pour Socrate, en ce sens, l'âme est immortelle, elle revient. « Ainsi l'âme, immortelle et plusieurs fois renaissante, ayant contemplé toutes choses, et sur la terre et dans l'Hadès, ne peut manquer d'avoir tout appris. Il n'est donc pas surprenant qu'elle ait, sur la vertu et sur le reste, des souvenirs de ce qu'elle en a su précédemment. »

On peut interpréter ces multiples naissances comme, selon jean-Pierre Vernant : « Toutes les anciennes races d'hommes qui ont donné leur nom aux temps révolus, à l'âge d'or, sous le règne de Cronos, puis à l'âge d'argent et de bronze, enfin à l'âge héroïque, sont encore présentes, pour qui sait les voir, génies, voltigeant à la surface de la terre, démons souterrains, hôtes, aux confins de l'Océan, de l'île des Bienheureux. » Ce sont les poètes.

Que se passe-t-il dans la mémoire entre poésie orale et écriture ? Jean-Pierre Vernant : caractère construit et en cela artificiel et factice de toute mémoire humaine ; comme l'attention qui est toujours construite.
Victor, le sauvage de l'Aveyron, a pu relativement être inséré grâce au docteur Itard et à son attention.
La mémoire n'est pas innée. Nous en avons une faculté. La mémoire anamnésique, il faut l'acquérir.
Jean-Pierre Vernant : elle se distingue de l'habitude (I. Pavlov) et est une difficile conquête de son passé individuel.
Il y a de la mnémotechnique et ce dans toutes les sociétés. C'est la culture du « conglomérat hérité ».
La déesse Mnémosune est la déesse de la mémoire. Les faits psychologiques sont rangés à l'état de dieux chez les grecs (phobos, métis, Âté, etc).
Aby Warburg est capital sur l'anamnésis, dont parle Didi Huberman dans « l'image survivante ».

La question de la mémoire obsède déjà les grecs de l'époque archaïque de tradition purement orale entre le 7ème et le 8ème siècle avant J.-C. Des personnes étaient formées à garder la mémoire de la société. L'écriture fait régresser la mémoire du poète.

Mnémosuné est la déesse des poètes qui sont des possédés. Ils s'inscrivent dans le démonique et l'Âté. Ils sont ainsi proches des devins. Au départ, les poètes de l'âge archaïque sont aveugles, comme Homère. Ils ont accès à un autre temps.

Jean-Pierre Vernant : « Présence directe au passé, révélation immédiate, don divin, tous ces traits, qui définissent l'inspiration par les Muses n'excluent nullement pour les poètes la nécessité d'une dure préparation et comme d'un apprentissage de son état de voyance. Pas davantage l'improvisation au cours du chant n'exclut le recours fidèle à une tradition poétique conservée de génération en génération. Au contraire, les règles mêmes de la composition orale exigent que le chanteur dispose, non seulement d'un canevas de thèmes et de récits, mais d'une technique de diction formulaire qu'il utilise toute faite et qui comporte l'emploi d'expressions traditionnelles, de combinaisons de mots déjà fixées, de recettes établies de versification. »
Cela constitue l'archive d'une société, l'écriture entrera en conflit avec cette tradition. La poésie change de statut et devient lyrique : c'est le poète orphique. La poésie a changé de fonction sociale.

La prochaine fois, nous parlerons d'amour et de géométrie.


mardi 26 mars 2013

Ecole d'Epineuil : cours de philo 8

5 Février 2011

Socrate (Platon) est en relation à Diotima, une prêtresse qui enseigne à Socrate. Elle vient du mutos (mythe), c'est-à-dire de la société de la croyance. On pose que Socrate et Platon ont réalisé la transition vers la société du logos.
Mais, dans le Banquet, Socrate est sous l'autorité de Diotima qui est mystagogue : elle initie aux mystères du mutos.
La sagesse serait un rapport de désir, c'est l'objet par excellence du désir, or ce dernier est délirant. C'est l'irrationnel, le déraisonnable. Comment Socrate peut passer de la mythologie à la géométrie ?

Les présocratiques, Xénophane, Parménide, étaient à la fois fondateurs de cité, poètes et géomètres (dont Thalès), mais aussi des physiologue (interrogation sur la nature, physis, distinguée du nomos : le règne urbain).

Sur la figure de la mystagogue dans la tradition des mystères d'éleusis : c'est le lieu d'initiation à la mythologie de Perséphone. Ce qui est en jeu à travers elle, c'est une commémoration de son enlèvement par Hadès. Les myst qui y vont vivent une conversion. Ils commémorent la lutte de Déméter pour faire revenir au jour Perséphone, sous l'arbitrage de Zeus : elle disparaît 3 mois par an en Hadès (hiver). Déméter est donc une déesse de l'agriculture.

La référence de Platon au mythe est récurrente alors qu'il condamne les poètes, les prêtres, dans « La République ». Socrate est la charnière entre les deux sociétés et puise dans les deux.
Dotz n'hésite pas à parler d'un processus d' « aufklarung » (« Les lumières » en allemand : émancipation par rapport à la religion), notamment à cause de Xénophane (début 6ème siècle, un siècle avant Socrate) « si un bœuf savait peindre, son dieu ressemblerait à un bœuf ». Il remettait en cause la représentation des dieux et s'attaquait aux thaumaturges : poètes, sculpteurs, etc. Comment s'opère ce passage du mythe à la raison ?

Perséphone incarne aussi la mort, étant la femme de Hadès. Le lien entre le Banquet et Le Ménon sera le rapport entre désir et mort (Freud, 1921-1923 : relation pulsion de vie – pulsion de mort). Diotima dira que la sophia (sagesse) est l'objet du désir qui est un mystère, peut-être sans solution. Si on éclaircit l'objet du désir, celui-ci disparaît. L'objet de la science est un objet idéal, l'objet de la l'amour est un objet idéal.

Dans Ménon, Socrate y parle de l'anamnésis : « sans la connaître tu ne la chercherais pas », je ne la connais pas, je ne m'en souviens plus, mais je l'ai hérité depuis mon âme. L'anamnésis est le fondement de toute véritable connaissance. Dans Le Ménon, cela passe par le royaume des morts, la commémoration de l'enlèvement de Perséphone. L'anamnèse passe par le royaume des morts, par le mutos. Ici, c'est l’anamnèse à l'origine des autres. Pour répondre à l'aporie de Ménon, il est obligé de passer par les prêtres et les poètes. Cette profondeur finalement renverrait à l'inconscient.

Dans le Banquet, la beuverie dédié à un poète signifie aussi la présence de l'esprit du vin qui est aussi l'esprit en général dans la Grèce archaïque. Cela commence par le délire alcoolique et cela finit par le délire amoureux.

Commençons par étudier l'Atê (déesse de la faute et de l'égarement) étudié par Dotz. Cela vient d'Homère, tradition orale (James Joyce re-parcourera la littérature depuis Homère).
Le mot psyché et la parole du daimon de Socrate : je suis habité par un démon, un désir de sagesse qui me dépasse.
Pour Dotz, dans Homère, Agamemnon est habité par une Âté : il dit à Achille que Zeus est coupable ainsi que les Erinyes. L'Âté est un état d'âme qui peut être produit naturellement par le vin, le vin serait en soi naturel et démonique. Dans le Banquet, ils sont dans des pratiques démoniques, des pratiques sacrificielles que l'on retrouve aujourd'hui dans le culte chrétien (boire le sang du Christ par exemple).

Le délire, mania, n'est pas « le coup de folie », c'est-à-dire l'Âté. L'Âté a aussi le sens du daimon dans l'Odyssée : « quand un homme a une idée particulièrement excellente » (arêté) ou quand il est dans l'excès, quand il se souvient de ce qu'il pourrait oublier.
Dotz : il y a une intervention psychique d'un de ces êtres, daimon. Dans l'Hadès, il y a des revenants, des daimon. C'est un Autre qui est en soi (J. Lacan a développé une théorie de l'autre à partir de l'inconscient).

Chez les grecs, il n'y a pas de culpabilité, mais c'est une société de honte, aidos (honneur, honte). C'est également la timé et le kléos (la réputation, la renommée, la gloire, la reconnaissance). L'important est l'estime public. Platon participe à faire passer la société de la honte à la culpabilité.

Nous vivonsaujourd'hui les limites de la philosophie et donc de l'Occident.
Les digitals natives de Tunisie ont trouvé le courage d'affronté les dictatures en clamant leur dignité.

Dotz : au-delà du passage du mutos au logos, il y a une mutation de la structure familiale qui conduit à un changement de rapport entre générations. Les grecs anciens croyaient en la solidarité familiale : la vie du fils est la prolongation de celle du père. Il hérite de son héroïsme et de ses dettes, commerciales et morales (c'est une société de vendettas). Cet héritage empêche l'apparition de l'individu en tant que personne. L'une des principales réalisations de la rationalité grecque est la libération du fils de l'autorité paternelle. Cela revient à l'instauration de la démocratie athénienne.
Solon, qui a écrit des lois, a posé le principe que les citoyens sont isonomes : égalité des citoyens en droits et en devoirs.
Puis, il y eut Clysthène : il casse les clans en dix communautés fabriquées de façon arbitraire, les dém, d'où la création de la démocratie. Et cela n'est possible qu'à travers l'écriture. C'est la fin d'un monopole (ce qui s'est passé avec wikileaks également). L'écriture est partout gravée dans le marbre : agora, lieux de culte, stèles funéraires.
En 480 (proche de la naissance de Socrate), tous savent lire en Grèce. Un siècle et demi avant Platon, une nouvelle génération de l'écrit bouscule les natifs du mutos. Socrate, issu des deux civilisations, hérite encore de ses ancêtres des fautes morales : un kléos héréditaire.

C'est le bain culturel d'Eschyle qui a écrit « Les Perses » et « Prométhée enchaîné », c'est le père de la tragédie grecque. À son époque, le daimon est toujours là mais connait une transformation (deux à trois siècles après Homère). Par exemple, dans « Les Perses », le « grec rusé » est avec la prêtresse Timo (occurrence de démonisme). Mais il essaie de faire sortir la société de ce démonisme en la traversant, ainsi dans « Les Euménides » : « (…) dans un monde transformé par l'action d'Athéna en un monde nouveau de justice rationnel ».

Cette justice est l'un des grands sujets de Platon, comment être juste ? Quels critères et quelle critique ?
Si nous ne comprenons pas que l'on ne peut pas tout réduire à la rationalité capitaliste, nous ne pourrons pas convaincre les intégristes.
Le daimon habite Socrate et Platon fait de ce daimon une puissance fondamentale, dans « Le Timé » : une sorte d'esprit directeur sublime, l'élément de pure raison dans l'homme, une sorte de Surmoi (ce qui inspirera E. Kant). Cette intériorisation du démonique par Platon lui-même opère le passage de la société à la honte.

Dans la société grecque, la famille de structure patriarcale est la clef de voute de la société. Platon déteste la famille dans « La République » à cause de ces droits illimités du père. André Gide : « familles, je vous hais ! ». Dans ce contexte, Socrate est accusé de pervertir la jeunesse, c'est-à-dire de la rendre indocile. Il eut le choix entre exil et la ciguë, et choisit de mourir. Socrate vit donc entre l'époque archaïque et rationaliste. Gilbert Murray parle d'un « conglomérat hérité des mouvements religieux archaïques ».

Pour Dotz, la rupture n'efface pas les restes de la société archaïque. L'ancien survit dans le nouveau. Le conglomérat hérité d'où surgit ce qui rompt avec lui, le logos, devient le ferment d'une situation conflictuelle.
Par exemple : « Antigone » (Sophocle) qui proteste pour que Polynis soit enterré, elle dit à Créon « tu n'as pas le droit », car la loi divine l'interdit, celle de la Grèce archaïque, car ce serait un sacrilège empêchant Polynis d'aller en Hadès.
Cela conduit à une crise à cause de l'écart entre les croyances des élites et du peuple, ce sera la déchéance d’Athènes, avec la mort de Socrate notamment. Les aufklerer sont devenus des mécréants.

Pour Dotz, Xénophane était un homme profondément religieux, mais il représentait les dieux différemment. Il se rendait compte qu'il s'agissait de foi et non de connaissances. Il s'opposait à un mélange : le savoir positivement constitué et démontré et le démonic.
Ainsi, le Ménon est perturbant à cause de l'appel à ce qui n'est pas connaissable : c'est une aporie. C'est l'affaire de mystagogie et de la poésie. Les aèdes sont convoqués par Socrate avant la lecture du mythe de Perséphone.
Pourtant, Platon condamnera la poésie dans « La République » : il veut sortir de la société tragique, car il n'y a pas d'immortalité de l'âme. En effet, les poètes, aèdes et rhapsodes, chez les grecs, appartiennent à la culture de la honte ou tragique, c'est-à-dire de la mortalité, sans pour les revenants, mais c'est alors un kléos. Les poètes grecs pratiquent la poésie qui est une mnémotechnique. Ils ont « des capacités de voyance » dira A. Rimbaud. Cela consiste à apprendre par cœur le catalogon. Il raconte l'histoire de la société dans un état second qui met dans un état d'Âthé : le surnaturel s'exprime alors. 

samedi 23 mars 2013

Ecole d'Epineuil : cours de philo 7


22 Janvier 2011

L'histoire de la philosophie est aussi l'Histoire de la philosophie avec un grand « H ». Hegel parle de « l'histoire en marche » (B. Stiegler montre un tableau de Napoléon).

Nous allons nous diriger contre le « mainstream » (le courant dominant) qui, d'après Frédéric Martel, plait à tout le monde. Mais il y a toujours un contre-courant. C'est finalement le « mainstream » de F. Martel, pas le notre, même si nous baignons dedans, malheureusement. Ce courant affligeant est régressif, comme une pente, une chute. Nous reviendrons plus tard sur ce thème (dialogue « Phèdre » de Platon : thème de la chute) : une pente que l'on ne peut remonter ? Le peuple tunisien a remonté sa pente (chute de Ben Ali).

Comment traduire « ti esti » ? « Qu'est ce que » la vertu ? On peut traduire cela au regard de ce que Roland Barthe appelle « la closule zazique » (de « zazi dans le métro » de Raymond Queneau), « Napoléon mon cul » répond-elle. Il s'agirait d'une traduction du dialogue Le Ménon : en effet, dans ce dialogue se noue le parcours de Platon, partant de la vie et de la mort de Socrate, de ses souvenirs de son maître condamné à mort. Il veut en consigner la mémoire, celle de ses dialogues oraux comme étant la philosophie même, ce que Platon appellera plus tard la « dialectique » du mot « dialogue ».

Socrate : il faut pratiquer le dialogue contre la pratique de l'écriture des sophistes. Il serait le point de départ de cette histoire, autrement dit la constitution d'une pensée individuelle et collective (processus d'individuation). Il y a avait des cours et des séminaires, ouverts, dans un lieu où vont se transmettre les questions fondamentales et les apories de la pensée philosophique.
La philosophie est une transformation à partir d'une conversion du regard et de la façon de vivre, donc de la façon de penser.
Ménon pose la question d'un savoir vivre qu'entend être la philosophie : elle prétend créer un nouveau savoir vivre.

Faisons attention à la chronologie des dialogues de Platon dont Léon Robin a traduit la totalité des dialogues. Protagoras est parmi les premiers dialogues, c'est un dialogue socratique, c'est-à-dire qu'il correspond à la façon dont Socrate pratiquait son commerce oral.
Luc Brisson découpe 4 périodes :
1. Période de jeunesse (399-390) : Hippias, Charmide, Protagoras, Euthypron.
2. Période de transition (390-385) : Alcibiade, Gorgias, Ménon, Apologie de Socrate, Criton, Euthidème, Lysis, Ménexène, Cratyle.
3. Période de maturité (385-370) : Phédon, Banquet, République, Phèdre.
4. Dernières années (370-348) : Théétète, Parménide, Sophiste, Politique, Timée, Critias, Philèbe, Lois.

Pour B. Stiegler, la période de transition est celle qui est proprement le cœur de son travail, celle de la maturité serait le Platon dogmatique, enfin la dernière partie serait la « période aporitique » dans laquelle il se remet à se poser des questions.

Ion est un rapsode, non un aède, mais une personne qui dit et improvise sur un « catalogon » (une tradition orale). Socrate dit à Ion : si tu es poète, ce n'est pas par ta technique, c'est que tu es traversé par « l'enthousiasme », ainsi tu es possédé par des muses.
On appelle ça l'inspiration, c'est-à-dire le souffle, « pneuma » en grec, et en latin, « l'esprit ». Pour qu'il y ait du « génie » (Kant), c'est-à-dire être capable de générer quelque chose, il faut de l'inspiration, et cette inspiration provient des muses dans Ion. Socrate est ancré dans une tradition « démonique ».

Dans l'apologie de Socrate, ce dernier se défend, il essaie de se sauver, ainsi que son âme qui n'est pas immortelle. Il s'adresse à son procureur et à toute la cité, et à tous les citoyens en tant que citoyen. Son immortalité, c'est le « cléos » : la renommée, la gloire.

Ensuite, une autre série de dialogue avec les questions platoniciennes (et non purement socratiques) : La république, Phèdre, Théétète, Le sophiste. L'interprétation spécifique de Platon prend corps. Il contredit sur des points cruciaux les enseignements de Socrate. Par exemple, dans la République, il affirme que l'on peut enseigner la vertu, ce dont atteste Le Ménon. Mais il y a beaucoup d'autres changements.

Ensuite, il y a les textes aporétiques (Timée, Philèbe, Les lois), qui reviennent à l'impossibilité d'apporter des réponses : ce serait des impasses ce que J. Derrida nommerait un « indécidable », une impossibilité de trancher. Nous ferons la lecture du banquet et de Phèdre.

Qu'est ce qui relie le Ménon et ces deux dialogues ? Dans ces trois dialogues, il y a des questions qui reviennent, qui obsèdent Platon. Socrate avait aussi un père spirituel, Parménide. « On tue le père », on fait sa conversion : « je suis Platon » (et non pas Parménide). Quels sont ces questions ? Il y en a cinq en particulier :
- La poésie, qu'en penser ? Dans la République : c'est le mal.
- Mais dans ces trois dialogues, le délire est la source de la sagesse.
- dont l'amour fait partie.
- La mémoire est à l'arrière-plan des dialogues de Platon.

Nous avions vu dans les cours précédents dans quel contexte la vertu se pose, l' « Arêté ». La question : comment être vertueux (et non « ce que c'est » en premier lieu), autrement dit « excellent ». Les jeunes veulent être enseignés de cela dans un contexte grec qui est celui de notions venant de noms de déesse :
- Eris (discorde) : déesse de l'émulation ;
- Pandora, femme d'Epiméthée, qui porte l'Elpis dans une jarre (l'attente du meilleur et du pire ; la crainte et espoir).
L'Eris et l'Elpis ont deux versants, des dynamiques pour le meilleur et le pire, au sens pharmacologique. L'attente lié à l'espoir suppose une forme d'attention.

Cela forme le contexte des notions tragiques, c'est d'ailleurs le monde de la tragédie (Eschyle, Sophocle). Les mortels sont dans le temps de la mort parce qu'ils sont techniciens, inventeurs, dépourvus a priori, donc ils sont les êtres de la pharmacologie. Dans Protagoras, le Pharmakon n'apparait pas en tant que tel (le mot), mais la question est déjà présente.

Dans ce contexte vient la question de la vertu : à quoi doivent-ils devenir sensibles pour ne pas s'autodétruire ? À Diké (déesse de la justice) : le juste qui est ce que l'on peut ne pas être. Pour être juste, il faut être capable d'être injuste. Nous sommes polarisés par ces notions. Arêté a à voir avec le fait que la vertu fait avec le fait que l'homme est foncièrement injuste, susceptible de commettre des choses honteuses et, ainsi capable d'avoir honte et devenir juste. Epiméthée apprend de sa bêtise.

Au départ, l'Arêté est la puissance : Périklès est vertueux, mais il est terrible. C'est à partir de Socrate, si on en croit Nietzsche, que la vertu devient essentiellement moral. Il reproche à Socrate la perte du sens de ce mot. Arêté n'est pas d’emblée une question morale. La vertu fondamentale aurait rapport à la capacité de soulever des questions.

En tant que l'humain est un être technique, Heidegger « être et temps » (Sein und Zeit) : « nous avons à être car nous ne sommes pas ». Notre être ne nous est pas donné, mais nous devons l'être (au sens transitif : être l'être). C'est le sujet de Sartre dans « l'être et le Néant ». Les mortels sont en devenir et, dans ce devenir (passif), qui devient alors un avenir, se pose le problème de la critique de leur devenir. Si le mortel n'est pas seulement déterminé, il n'est que le temps, son propre temps. C'est ce que dit Heidegger : dans ce temps, le mortel doit prendre des décisions.

D'où la question primordiale des mortels : quel(s) critère(s) sont à prendre individuellement ou collectivement pour qu'une décision soit bonne ? Dans le Ménon, c'est la vertu, mais après il faudrait « la vérité » pour être vertueux. Il s'agit des « formes pures de l’entendement » dira Kant, ce qui est vrai comme véritativité.

Socrate affirme que ce doit être fondé sur des sentiments : Aidos (honneur et honte, voire vergogne, mesure, réserve) et la Diké (sentiment de la justice passant par celui de l'injustice). Si l'on est capable d'être juste, c'est parce que l'on n'est pas. Selon Nietzsche, les grecs ne savent pas ce qu'est la culpabilité, mais ils connaissent la honte

Primo Lévi « Si c'est un homme » : il a éprouvé et pensé la honte de ce qu'est d'être un homme, au-delà de la culpabilité judéo-chrétienne, soulevant donc la question de la vertu au sens grec. C'est depuis la honte que l'on peut reconstituer le champs éthique et civilisationnel. Nous sommes tous traversé par les polarités et nous devons faire la différence entre les pôles qui les forment, ainsi devenir plus justes, plus honorables, ainsi nous pousserons les autres à l'être aussi.

Dans le christianisme et chez Gilbert Simodon, la différence se présente aussi dans la question de « la tentation ». La tentation n'est pas seulement un moment chrétien. Chez les chrétiens, dominés par l'imagerie de l'Enfer et la culpabilité (« La tentation de saint Antoine », rétable d'Issenheim), c'est une obsession du sexe qui n'appartient en rien au monde grec. Que se passe-t-il entre le monde grec et notre monde contemporain ? Platon va installer une pensée névrotique du corps, car il est pris dans les contradictions de la passions : le délire nécessaire à la sagesse pour Socrate ; la maîtrise de la passion car le corps fait faire n'importe quoi. Les compositions deviennent des oppositions. C'est cela que lui reproche Nietzsche.

Lisons maintenant le dialogue Ménon : 
« Pourrais-tu me dire, Socrate, si la vertu s'acquiert par l'enseignement ou par l'exercice, ou bien si elle ne résulte ni de l'enseignement (didacton) ni de l'exercice (askéton : ascèse), mais est donnée à l'homme par la nature, ou si elle vient de quelque autre cause encore ? ». 
Depuis que Gorgias s'est rendu à Larisse, les Thessaliens répondent à tout, mais ils ne se posent jamais de questions, mais cela n'est pas le cas à Athènes.Un athénien répondait : je n'ai pas la moindre idée de ce qu'est la vertu. On ne sait pas. « Je me reproche à moi-même de ne savoir absolument rien de la vertu. » Il interroge Ménon sur ce qu'est la vertu pour lui (dialogue) Il répond. Socrate fait remarquer à chaque fois à Ménon qu'il n'arrive pas à définir « la » vertu, car chacun des exemples ne sont pas la vertu mais appartiennent à son essence. Socrate : « la vertu ne peut pas s'enseigner ». Il pose en principe qu'avant de prétendre enseigner, il faut se poser la question de « ce que c'est », et se demander si c'est « une vraie question ». Socrate ne dit pas que l'on ne peut rien savoir ni rien apprendre, il faut apprendre, mais le faire en sachant la précarité du savoir. C'est dans le dialogue avec les autres que l'on apprend. Il incite Ménon à se poser les bonnes questions. Mais Ménon se met en colère, il accuse Socrate d'être de mauvaise foi.

Il dit son aporie : « Mais comment vas-tu t'y prendre, Socrate, pour chercher une chose dont tu ne sais absolument pas ce qu'elle est ? Quel point particulier, entre tant d'inconnus, proposeras-tu à ta recherche ? Et à supposer que tu tombes par hasard sur le bon, à quoi le reconnaitras-tu, puisque tu ne le connais ? »
C'est la matrice de toute philosophie. Parménide s'est posé la question de l'être, l'être est, le non-être n'est pas. Il décrit la pensée apodictique (évidente) qui oppose l'être au non-être, ce qui donne accès aux essences et aux idées. C'est la base de l'ontologie : discours sur ce qui est.
Les sophistes se réclamaient d'Héraclite. Dans cette tradition, tout devient « panta rei », touffu, et que la question de l'être est une illusion. La question de l'être est locale.

L'aporie de Ménon consiste à poser que l'on ne peut connaître ce que l'on ne connait pas déjà, mais apprendre signifie se transformer. Comment Socrate répond-il ? Cela fondera la position de Platon. Il semble ici qu'il s'agisse encore de Socrate car il en appelle à la tradition tragique.

Ici est fondé la philosophie transcendantale dont le père est E. Kant (fin 18ème siècle) : il y a une sphère de « connaissances a priori » ou « concepts purs » constitutives de la possibilité de connaître, car non donnée par l'expérience. Des catégories sont données a priori : théorisé dans la « Critique de la raison pure ».

Au 19ème siècle, époque de Husserl, la philosophie devient psychologie expérimentale, cette question « du jugement synthétique a priori » (E. Kant (d'emblée composée)) devient la question de l’inné et de l'acquis. Mais cette question repose sur un mal entendu, car ce n'est pas la même question que celle de Socrate, Kant, Descartes. La question de Socrate ne touche pas au cerveau.
En fait, le mal-entendu vient de Descartes (avant E. Kant) qui a parlé « d'idées innées » : des idées sont en moi par Dieu, ce sont des « signifiés transcendantaux », un savoir providentiel. L'inné n'est pas du câblé. Le comportementalisme, le cognitivisme qui en est issu, fonde le capitalisme d'origine américaine.
Noam Chomsky (20ème) est au cœur de l'esprit cognitiviste américain alors qu'il en est un détraqueur. Il est à l'origine de la computation généralisé, à l'origine de la finance, etc.

L'aporie : une impasse, une question sans solution, une vraie question. Mais on ne peut y répondre par une réponse ordinaire. On doit y répondre, dit Socrate, par un « répons radical », extra-ordinaire. Cependant, cela peut conduire au délire. Platon plaide pour l’enthousiasme et le délire, un excès, malgré le fait qu'il prône la mesure, la rationalité. Socrate en appelle aux prêtres et aux prêtresses, et aux poètes et aux poétesses qui racontent l'histoire de Perséphone, la fille de Démeter (déesse de l'agriculture), qui est aussi nommée aussi Coré : il est question de cet excès, du délire collectif qu'est la mythologie et la poésie, reconnu comme les plus hautes valeurs. Socrate est accusé d'être impie mais il ne congédie pas les croyances : pour répondre à l'aporie, on doit faire appel à la mystagogie, et surpasser le logos. C'est ce qui constitue le fond des « mystères d'éleusis » : rituel vécu par tous les grecs. C'est un lieu où se rendaient les grecs pour faire un rituel initiatique en tant que « myst », candidats à l'expérience des mystères. Coré, Perséphone, a été enlevée par Hadès, le dieu sous-terrain des enfers où se trouvent les âmes errantes. Hadès est peut-être le nom à l'origine de Aidos. Perséphone vit dans la lumière. Rien n'est plus précieux que la lumière pour les grecs. Hadès est tombé amoureux d'elle. Déméter va devenir folle et le blé ne pousse plus.
C'est la question du délire amoureux comme source de sagesse, de l'économie libidinale dont s'est emparé le capitalisme.

Le banquet (sculpture de Diotima) : elle s'adresse à Socrate comme à un non-initié, mais c'est une prêtresse. Des prêtres et des prêtresses, Socrate en parle dans le Ménon. 

jeudi 14 février 2013

Mes outils d'écriture

Je me suis dit qu'écrire quelque chose sur les outils que j'utilise pour écrire pourrait intéresser quelques uns de mes lecteurs. Je vais donc vous présenter chacun de ces objets qui m'accompagnent dans ce travail personnel.

Mais avant cela, il y a plusieurs choses à préciser :  il ne s'agit pas seulement "d'outils". A vrai dire, le terme "outils" peut sembler réducteur et concret. En effet, il y a ce que mon frère Nicolas appelle la "triangulation", autrement dit il s'agit de s'offrir la force d'un élan (poétique), voire le recul nécessaire à l'écriture, par appuis sur un autre médium. Je trouve cette idée de triangulation intéressante car elle exprime bien le besoin que l'on peut avoir de prendre de la distance par rapport à son support de travail et à son sujet.

Souvent, il n'est pas possible de réaliser un face à face avec l'écriture, car la spontanéité est tout simplement absente et il n'est jamais bon de forcer l'écriture, sous peine de superficialité. Chez moi, les mots doivent fermenter en tonneau un certain temps, et je prends toujours ce temps pour penser et sentir le juste moment pour écrire, quand je les entends me presser, ce que d'aucun appelle "le souffle" de l'écriture. A l'opposé de cela, il y a ce que j'appelle l'ornement cousu de trop de défauts, notamment quand il constitue un ajout au texte car il se résume alors à de la décoration et blesse ainsi le texte en enterrant son objet. Selon moi, le respect de ce temps de fermentation est essentiel, malgré toutes les frustrations que l'on peut rencontrer de ne pas vivre l'enthousiasme du moment d'écriture, ou au contraire la pression folle des vents intérieurs que l'on doit parer jusqu'à ce qu'ils soient quiets.
Cette métaphore du vent déchaîné me permet de vous décrire une autre possibilité, la plus complexe à expliquer : que la spontanéité même soit dépassée par la vision que l'on a du Réel. Ce dernier peut s'avérer brûlant comme le Soleil, c'est véritablement l'histoire d'Icare. L'objet nu que l'on tente alors de cerner au sein de son milieu ("mondé" dirais-je) peut ainsi nous apparaître trop directement et nous blesser, car nous avons perdu trop d'assise symbolique au sein du monde (j'en parle dans mon poème "Il n'y a rien sans leurres").
L'écriture est donc aussi le jeu du funambule qui se concentre sur son équilibre - l'harmonie - de ses pas - de ses mots - et qui apprécie la distance qui lui reste à parcourir - le sujet - avant d'atteindre l'autre bout, la fin de l'épreuve (ce que l'on éprouve) - la fin du poème -.

Les outils sont donc d'une part le moyen de choisir à quelle distance on tient son sujet, et d'autre part un ressource concrète pour le travail en cours.

Bien entendu, il y a aussi le plaisir de fréquenter des objets que l'on a choisi pour être auprès de soi ou construit soi-même. En bref, ce sont des objets d'affection qui mis bout à bout ont peut-être la force d'ajuster cette distance dont nous avons parlé.



Ces objets, quels sont-ils ?

Commençons par l'essentiel : les cahiers de poésie. Je n'ai jamais trouvé de meilleurs cahiers que ces "Note Book" (cf. Image).
C'est un bel objet. La couverture et la quatrième sont un peu rugueuses, ce qui est très agréable au touché (les couleurs toujours élégantes). L'intérieur est simple, sans ajouts, parfaitement libre pour l'écriture. Il y a des lignes, mais pas de carreaux (que je n'aime pas car il me donne l'impression de calculer la longueur de mes phrases) et les pages sont souples mais pas fragiles, enfin l'on éprouve beaucoup de plaisir à écrire sur ce papier lisse et suffisamment épais.

En y réfléchissant, je me dis que ce n'est pas forcément évident, mais il me semble préférable d'avoir un bel objet pour produire de belles choses. C'est presque une motivation supplémentaire : s'entourer de belles choses.

Après quelques années d'indécision, j'ai choisi le cahier au détriment de l'ordinateur pour écrire. Ce dernier a beau être très pratique, le travail de réécriture sur celui-ci n'est jamais si important, et les avantages en terme de liberté sur la page, entre les lignes, de pouvoir dessiner, rayer (etc), ne sauraient être dépassés par l'aspect pratique de l'informatique.

J'ai donc de multiples cahiers de ce genre, qui dure entre 4 mois et 1 an en ce qui concerne la poésie.

Mais je les utilise aussi pour deux autres choses :
- D'une part, je colle dans l'un deux mes synthèses (notes de lecture publiées sur le blog notamment) de livres, souvent qui m'ont particulièrement saisi.
- D'autre part, je répertorie dans mon "cahier bleu" tous les mots qui me sont inconnus, les expressions qui me font sourire de plaisir (par ailleurs, j'ai un répertoire pour l'anglais de Shakespeare), ce qui m'amène aux dictionnaires...



Je pense tout particulièrement, en dehors des dictionnaires habituels, au dictionnaire analogique de Prudence Boissière(cf. image), une véritable mine d'or pour les amoureux du français.
Je pense que quelques exemples seront plus éloquents qu'une explication. Prenons le mot "ornement". Il renvoie à BEAU où l'on le trouve ; à chaque mot est rendu compte alphabétiquement d'un grand nombre d'analogie, ce qui donne pour BEAU :
- Adonis, jeune garçon qui se trouve beau ; - s'Adoniser, se trouver beau, comme Adonis.
- Appas, charmes.
- Bien ; assez bien ; mieux : cet homme est bien, il est bien de figure.
- Calli, commence plusieurs mots où il exprimer l'idée de beau, comme calligraphe, calligraphie, callipyge, etc.
- Diable (beauté du), la jeunesse.
- Frisque, joli et mignon. (vx)
- Nonpareil, qui est sans égal.
- Ornement, ce qui orne ; action d' - ORNER, rendre beau par des accessoires.
- Spécieux, qui a de belles apparences ; - spéciosité, belle apparence ; - spécieusement.
- Tourné (bien), fait au tour, bien fait.
- Vénusté, grâce et beauté.
(etc)

Je n'ai cité que quelques mots au hasard sous "BEAU". C'est un outils utile pour trouver une nuance qui nous échappe, mais il a le défaut d'être très, voire trop riche, et parfois dépassé, ainsi on peut avoir tendance à tomber dans "l'ornement", ou à utiliser des mots trop anciens et rares pour que le lecteur comprenne et que sa lecture soit fluide, d'autant que personnellement, je m'habitue relativement vite à la présence de nouveaux mots dans mon lexique et j'en oublie leur aspect inusité. Mais je ne pense pas qu'il soit si désagréable pour le lecteur de rencontrer un mot dont il ignore le sens, et de toutes façons, il y a des choses que l'on ne peut dire avec un vocabulaire pauvre.

Sans oublier d'avoir un stylo qui nous convient, il me semble ne rien avoir oublié d'essentiel, sauf une dernière chose qu'il peut sembler étrange de qualifier "d'outils" : ce sont les autres auteurs. 

En effet, je crois impossible d'écrire sans entretenir un rapport aux auteurs préexistants. Bien sur, chacun est libre d'élire ceux qu'il préfère. Pour ma part, j'ai été totalement saisi par la beauté et l'universalité que dégage deux auteurs :
- Rainer Maria Rilke : Les élégies de Duino (mais pourquoi ne lis-je pas l’allemand !).
- William Shakespeare, notamment Hamlet (merveilleux en anglais).


















Ces oeuvres sont des merveilles du patrimoine de l'humanité. Il y a bien d'autres auteurs qui ont mon amour et ma plus haute estime : Antonin Artaud, Henri Michaux, Apollinaire, etc (et là, seulement ce qui concerne la poésie).

Voilà que je me pose une question : peut-on exister véritablement dans l'écriture sans rapport aux autres auteurs ? Je ne le pense pas, la langue vient bien de quelque part, et si l'on tend à construire la sienne singulière, juste et belle, c'est en entretenant un lien privilégié à certains d'entre eux que c'est possible.

Quand je commençais à écrire, petit (j'avais peut-être 10 ans ?), je lisais Henri Michaux. Et j'adorais ce poème :


Icebergs

Icebergs, sans garde-fou, sans ceinture,  où de vieux cormorans
abattus et les âmes des matelots morts récemment viennent s'accouder
aux nuits enchanteresses de l`hyperboréal.

Icebergs, Icebergs, cathédrales sans religion de l'hiver éternel,
enrobés dans la calotte glaciaire de la planète Terre.  
Combien hauts, combien purs sont tes bords enfantés par le froid.

Icebergs, Icebergs,  dos du Nord-Atlantique, augustes Bouddhas gelés
sur des mers incontemplées. Phares scintillants de la Mort sans issue, le
cri  éperdu du silence dure des siècles.

Icebergs, Icebergs,  Solitaires sans besoin, des pays bouchés, distants,
et libres de vermine. Parents des îles, parents des sources, comme je
vous vois, comme vous m'êtes familiers...

                        Henri Michaux (La Nuit remue)



Et j'avais moi-même écrit : 



Iceberg

L’igloo flotte, sans ceinture.
Iceberg, Cathédral hivernal.
Phares mobiles des mers
Ou le silence dure des siècles.
Solitaire sans besoins,
Parents des sources lointaines
Et fils de la montagne.
Les matelots viennent
S’accouder à vos pointes
Pour une épave proche de Dieu.



- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

C'est assez étrange de se dire que l'on a écrit cela à cet âge, mais j'ai toujours aimé ce petit poème de mes 10 ans, sans doute le cinquième ou le sixième poème que j'ai écrit. C'était un vrai voyage ! Pendant longtemps, je me souviens que ces mots, les siens et les miens, sont entrés en échos et que cela me procurait beaucoup de chaleur et de réconfort.
Finalement, pour commencer quelque chose, on ne peut qu'imiter. "Faire à la façon", disaient-ils au collège et au lycée, mais là, je détestais cela... Je n'ai jamais réussi à pondre quelque chose de bien sans intimité, aussi étais-je toujours honteux d'écrire dans un autre contexte.
C'est ici l'occasion de répondre à une objection que l'on m'a souvent faite : "pourquoi écrire si tu ne le partages pas ?". Je répondais : "je ne sais pas, j'écris pour moi, c'est tout. Parfois je fais lire un texte à un proche."

Pourtant, la vérité, c'est que ces auteurs-outils sont parfois presque une altérité pour moi et, qu'ainsi, il y a déjà une sorte de partage. Malheureusement, dans une société du conformisme et de la consommation stupide comme la notre, il est impossible pour moi de maintenir ce lien en permanence - je ne sais pas si ce serait souhaitable - et je le regrette parfois. Je n'arrive pas à faire preuve d'élégance et d'intelligence la majorité du temps. Ce n'est pas ce que je voudrais que l'on croit de moi.
Pour 99% d'entre nous, il faut toujours se battre contre la bêtise ambiante : racisme éhonté, absence de concentration sur quoique ce soit, absence de richesses intérieures, voire absence de conscience...

Pouvoir choisir le rapport que l'on entretient au monde est un rare privilège. 

Très récemment, j'ai appris que d'autres sortes de dialogue étaient possibles, surtout par "Le Dialogue" que j'ai entretenu avec mon frère Nicolas (publié sur le ce blog). Je le remercie ici pour cela. C'est si rare et difficile de trouver rien qu'une véritable écoute de ce qui est écrit, alors une compréhension, cela n'existe quasiment pas, même sous forme d'interprétations personnelles. De plus, avec le temps, on prend des raccourcis dans l'écriture, tout simplement parce qu'il y a déjà du chemin parcouru derrière soi. Et beaucoup de lecteurs s'arrêtent de lire quand ils se rendent compte qu'ils ne sont pas entrain de se lire (eux-mêmes, dans la langue qui est la leur).


Merci à mes lecteurs























Poèmes 2009 : À couvert de l'issue


Sans doute 25 Mars 2009 au 18 Novembre 2011


À couvert de l'issue

À la vue des fuites dans leur écorce,
Je reçus l'aide des arbres morts.
Une souche appesantie,
Percée de vermisseaux :
Je la bus comme l'eau d'une caverne.

Grâce à une sangle perdue,
J'ai navigué au-delà des platanes.
La défaite des mots a brisé la fenêtre contre-nature.
Éclat de rire - éclat du gîte :
Les deux derniers souffles de ce temps-là.

Une césure dont l'écho blâmant me revient sans cesse :
L'écho de l'amour et de sa défaite.
J'ai froid.

À couvert de l'issue, sans haine, et la parole creuse,
Les mains en voie de guérison dépassent le rythme de l'histoire.
Moi je ne peux plus, si jeune, regarder. Je ne peux plus que toucher.
Se voir rejeter en dehors du monde, être mais ne plus se voir devenir.
J'ai froid.

À couvert de l'issue, le silence m'enrobe comme la femme à la bougie, licencieuse et pittoresque,
Enrobée de cercles sobres qui renferment sa consistance.
Je flotte.
J'ai froid.
La découverte de l'issue est un mystère que le pardon abandonne.




Poème 2008 : Rien sur la main


écriture du 4 Juillet 2008 au 18 Novembre 2011

Rien sur la main

S'enquérir du nom des hommes, 
Trouver le sel pour les embrasser
Tant que la mer brise la côte.

Éviter de voir ses lèvres gercées par de longues encablures de rire
Qui tractent la terre à des fins trop hautes pour en connaître.
Il faut s'en référer au front, les sourcils amers sans bure dessus,
Aux mains saumurées, aux pieds nus et éternellement nus.
Être toujours en voyage car les frontières abattent les arbres,
Ne pas laisser sa trace sauf un long sillon dans la terre,
Comme une rosace pétrie dans le sable.

Il ne me reste rien d'autre que la sécheresse du bout des doigts
- pourtant étrangère à ma personne - au moins elle me suit.

Un visage, un demi-visage, à la porte des reflets,
Qui renâcle, qui renaît, qui voudrait aimer,
Sans issues données à ses airs de souverain.