jeudi 2 mai 2013

Ecole d'Epineuil : cours philo 10


Cours du 26 Mars 2011

Depuis que nous travaillons sur le Ménon, nous parlions de l'anamnèse. Prise dans un sens plus large que chez Platon au sens d'un ressouvenir, ou de la réminiscence, c'est l'anamnèse dont parle Proust dans « la recherche du temps perdu ». (page 44-45 Pléiade) ce qui signifie l'anamnèse. Dans un sens banal, on se ressouvient de ce qui s'est enfoui dans l'oubli. Cette dimension de l'anamnèse embrasse toute les dimensions de la mémoire. Cela a conduit Socrate à parler de l'immortalité de l'âme.

Pour faire de la philosophie, il faut pratiquer l'anamnèse : pourquoi faire de la philosophie. Nous devons faire l'anamnèse de la raison pour laquelle nous nous demandons ce qu'est l'anamnèse ? Pourquoi ce cours ? Avec J. P. Vernan, nous avons réfléchi au mnémon, celui qui conserve la mémoire. Nous oublions le motif de nos actes. L'anamnèse est ce qui revient après ce qui fait défaut. Chez les grecs, le mental se représente à travers les dieux.

Il y a des phénomènes de censure : organisés politiquement, le refoulement freudien, mais il y a aussi des processus toxiques des mnémotechniques. Le pharmakon est alors mal tourné et provoque des trous dans la mémoire et dans la mémoire collective.

Quand l'appareil psychique est court-circuité par le marketing et ses complices imbéciles (dont des intellectuels compromis), on finit par se demander à quoi bon la vie ? C'est une « perte du sentiment d'exister » (D. W. Winnicott) pour les gens qui souffrent de la destruction de l'anamnèse, de la perte du sens de la vie. Quand on en est là, il faut trouver un pharmakos, c'est-à-dire un bouc-émissaire qui peut s'appeler : l'arabe, le juif, l'émigré, le communiste, le jeune (comme aujourd'hui). Nous sommes sur une zone de fracture. Nous n'avons plus le droit de ne pas être très intelligent, autrement dit pour B. Stiegler d'avoir une forte capacité sociale (écouter les autres).

Il faut alors faire un retour au point de départ par l'anamnèse : comment en est-on arrivés là ? Comment Marine Lepen peut faire 24% ? Mais à l'origine il n'y a qu'un défaut d'origine (M. Blanchot et Nietzsche). On remonte donc au défaut d'origine comme origine qui serait la technique. Dans le dialogue Phèdre : le principe, arche (archaïque) , c'est l'origine : pour penser il faut des principes, qui conduisent à la fin, aux buts.

Cela conduira à ce que E. Kant appellera le « transcendantal » et du « jugement synthétique a priori » : on l'a d'avance puisqu'il nous permet de faire l'expérience. On arrive à l'existence avec cela, c'est une « condition de possibilité de l'expérience ». Et, c'est cela l'enjeu de Ménon : la vertu, c'est ce que tu ne peux pas trouver dans l'expérience, mais elle te permet de trouver tous les cas de l'expérience. Platon, à travers Socrate, affirme cela à cause de l'aporie de Ménon. Il l'a connait déjà et l'a oublié.

La philosophie est alors très proche de la psychanalyse car il faut analyser l'esprit pour déterrer la mémoire. Freud permet la relecture de la philosophie, car le sujet de la psychanalyse serait l'anamnèse, au travers de l'inconscient. Ce dernier est en dehors du temps, tout comme l'âme immortelle de Platon.

Chez Platon, l'anamnèse procède de l'amour. C'est quasiment la base de la psychanalyse, mais Platon va opposer l'âme et le corps. L'inconscient serait le refoulé dans le corps comme milieu pulsionnel.

Tout cela nous conduit à Perséphone : encore une histoire de fesses ! Hadès en pince pour elle. Sa mère, Démeter, est en colère. Sans voir cela, on ne comprend les mystères d'éleusis. Qui est Perséphone ? C'est une tiers-mortelle : elle passe l’hiver en Hadès. Freud : « unheimlichkeit », l'inquiétante étrangeté, concept fondé sur « L'Homme au sable » d'Hoffmann. C'est étrange de la part de Socrate de convoquer les mystères d'éleusis et la poésie pour fonder le savoir alors que les philosophes cherchent à fonder un savoir qui n'est pas une croyance. Dans le Ménon, Platon est encore très proche de Socrate.

En terme de savoir, il ne faudrait pas faire appel à l'immortalité pour fonder le savoir, car cela oblige à opposer l'âme et le corps. B. Stiegler affirme que Socrate ne soutient pas cela, quand il le dit, il raconte une histoire. À la fin du mois de Février, c'était encore l'hiver, mais nous sentions l'arrivée du printemps. Il faut aller dans le « conglomérat hérité » pour comprendre de quoi il est question quand Platon parle « d'un autre temps ». L'esclave de Ménon cherche en lui la réponse. Socrate dit qu'il a trouvé la réponse en lui : il faut bien qu'il ait eu ces opinions justes dans « un autre temps », ce que l'on va chercher « dans un conglomérat hérité ». Le poète vit une réminiscence issu de ce conglomérat, c'est sur cette base que Socrate affirme qu'il n'y a pas de différence entre connaître et se ressouvenir. Mais la mémoire s'acquiert, notamment par des techniques du corps. Cette culture hérité est celle des poètes aveugles (Ray charles par exemple). Une société est une société qui apprend l'anamnèse.

Quelle est la capacité anamnèsique des poètes grecs ? C'est de « voir l'invisible » dira J. P. Vernan. Le débile, l'incapacité devenait le plus important : Homère. Cela supposait un art, technè, une mnémotechnique. Cela donne accès à un « supra-visible » selon B. Stiegler, ce qui mène à E. Kant : il parle du « supra-sensible » à propos du sublime dans « La critique du jugement » (de goût : la troisième critique de l'esthétique) : il y a le jugement de beau et le « jugement du sublime qui juge du sublime en tant qu'il est ce en comparaison de quoi tout le reste est petit ». B. Stiegler : le sublime donne accès au supra-sensible.

C'est ce que dit Kant. Pour Kant, c'est une capacité de l'humain issue de la capacité à envisager l'infini et à l'imaginer. La faculté de conception est l'entendement, mais la raison accède à autre chose qui est l'imagination. Pour Kant il y a un lien entre l'entendement et la raison qui passe par l'imagination et, ce qui permet la projection de ce lien, c'est notamment le sublime. Cela figure des idées de la raison infinies que l'on ne peut concevoir à proprement parler car elles sont infinies : la justice, le beau, etc. Mais nous ne pouvons vivre sans ces idées. Il est aussi question de « joie » que fournit ces expériences supra-sensible, mais qui créent aussi de la peine.

Paul et Arthur Rimbaud sont des poètes maudits, homosexuels, qui se droguent. Le 15 Mai 1871, Arthur Rimbaud écrit une lettre à Paul Demeny : il dit « je est un autre » (phrase commenté par G. Deleuze), 3 ans avant avant Nietzsche, 25 ans avant Freud. Il dit aussi : « J'assiste à l'éclosion de ma pensée, je la regarde, je l'écoute. Je lance un coup d'archet, la symphonie remuement dans les profondeurs, ou vient d'un bond sur la scène ». Cela, c'est le conglomérat hérité d'où proviennent les anamnèses. Il dira : « le poète est voleur de feu », c'est Prométhée. Et aussi : « Énormité devenant norme absorbée par tous, il serait vraiment un multiplicateur de progrès ! », puis qu'il faut être « absolulement moderne ». « Pour être poète, il faut se faire voyant ». Nous retrouvons J. P. Vernan. « Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens », d'où l’absinthe. Cela conduit à des « visions », à un rapport au corps, notamment avec A. Arthaud. Cela va conduire aux avant-gardes. L'art va rentrer en conflit avec la société au 20ème siècle.

B. Stiegler pose que la mémoire n'est pas seulement « ma mémoire », mais celle de tous les rêves des non-inhumains. Cela repose sur l'épi-philogénéthique : fabriquée par des individus noétiques mais transmise de générations en générations. Notre avenir passe par le développement et l'évolution épi-philogénéthique. Ce sont des expériences inter-générationnelles. Il y a des conflits : selon Dotz entre ceux du conglomérat hérité et ceux de l'aufklarung grecque.

Comment les générations sont frappées technologiquement ? D'où le poème de Rimbaud « Les poètes de sept ans » : il pose le problème de la jeune génération comme personne avant lui. Ceux de la génération qui précédent les natifs du numérique et qui succèdent à ceux de l'imprimerie. En 1871, pas de phonographe. Ceux-là sont les natifs de « salut les copains », émission d'Europe 1 (transistor : commercialisé dans les années 50). Comment le nouveau pharmakon numérique peut aider à l'enseignement ?

Les conditions de transmission du savoir évoluent avec le temps, ce sont des rétentions tertiaires.
La rétention primaire : c'est ce qui a été découvert par Husserl. En 1905, il a constitué ce concept : quand j'écoute une note dans une mélodie, la note que j'entends ne sonne comme elle sonne musicalement que parce qu'elle retient en elle-même toutes les notes qui la précédent. Comme chacun ne retient pas la même chose, les rétentions primaires sont des sélections à partir des rétentions secondaires.
Les rétentions secondaires : ce sont des souvenirs venant du passé.
Cette sélection primaire trame des circuits en nous : des « frayages de la mémoire » (Freud : « L'esquisse d'une technologie scientifique »).
La rétention tertiaire prend une forme technologique : support numérique, shuringan pour raconter les mythes, livres, etc. Selon André Leroi-Gourhan, il n'y aurait pas de transmission mythographique sans de tels supports.

L'anamnèse résulte d'un rapport entre individus, par individuation, ce que Gilbert Simondon appelle « un potentiel sursaturé » qui forme un « milieu pré-individuel », que nous avons à individuer. Il est constitué des rétentions tertiaires. En nous co-individuant, nous redonnons du sens à ce qui nous a précédé.

Martin Heidegger, dans « Sein und Zeit » (être et temps, 1927) : il a énormément choqué Célan par son passé nazi, même si cela n'a duré qu'un an. Il l'a payé en étant envoyé au travail.

En 1927, il a écrit 5 paragraphes (76 à 81) : ce qui fait qu'il y a dans les objets de l'histoire, comme des constituants fondamentaux du dasein, fragment des êtres capables d'accéder l'être, car c'est peut-être dans le non vécu qu'il faut penser l'existence. Il répond par la négative.

Pour B. Stiegler, c'est erreur qui l'empêche de penser Prométhée. Ainsi en 1933, dans son discours de recteur, il fait de Prométhée le dieu du nazisme. Il n'aurait pas pris ce chemin s'il avait vu l'extériorité de la mémoire.

Plus tard, il abandonnera Prométhée et prendra Œdipe et Antigone. C'est « l'être inquiétant ».

Socrate vise le détachement dans la lusis, ainsi dans le Phédon : le rapport à la mort doit être un détachement afin de s'excepter de l'attitude naturelle et faire une conversion. C'est que fait Socrate en tant qu'être démonique. On le comprend par la lecture de J. P. Vernan. Nos âmes sont hantées par des morts qui nous font vivre. Mais il nous faut dépasser l'a priori sur le terme athanaton que l'on retrouve dans Le Ménon.

Comment passe-t-on du mythe à la géométrie ? De la mystagogie la plus ancienne au calcul du carré. C'est en lisant le banquet que l'on le comprendra. Le dieu Eros est celui qui relie les dieux aux mortels. Dans le Banquet : « celui qui aime est possédé d'un dieu, d'un démon, d'un esprit ». L'amoureux peut faire n'importe quoi car c'est un être d'exception. C'est un état démonique : la poésie, le savoir de Socrate, l’épi-phylogenèse... C'est un atê. Faire de la philosophie, c'est aimer. Le noétique passe par le démonique. Cela relève de ce que Freud appelle « l'idéalisation » : l'être que j'aime est un être qui dépasse la mortalité en ce sens qu'elle s'infinitive.

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